Promouvoir la recherche éducative en Afrique francophone : Pourquoi la recherche académique mérite une attention particulière

Le REAL Centre et Education Sub Saharan Africa (ESSA) collaborent dans le cadre d’un projet visant à accroître la visibilité de la recherche et des chercheurs africains. Ce billet a bénéficié d’un soutien financier du GPE KIX pour aider à mieux comprendre les obstacles à la disponibilité de la recherche en éducation en langue française.

01 octobre 2025 par Hélène Binesse, REAL Centre at the University of Cambridge
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Lecture : 6 minutes
Le REAL Centre et ESSA ont organisé une série de trois ateliers sur l’apprentissage fondamental à l’intention de chercheurs africains. Crédit : ESSA

Le REAL Centre et ESSA ont organisé une série de trois ateliers sur l’apprentissage fondamental à l’intention de chercheurs africains. Cette photo montre des chercheurs collaborant lors de l’atelier tenu au Kenya en mai 2025. Les ateliers ont été rendus possibles grâce au soutien financier de la Fondation Bill & Melinda Gates.

Credit: ESSA

La recherche en éducation se décline sous diverses formes, notamment à travers les publications universitaires et les rapports de recherche. Ces deux modes de production de savoirs ne s’opposent pas fondamentalement, ils sont au contraire complémentaires.

Toutefois, des tensions apparaissent lorsque les frontières entre eux s’estompent : lorsque l’écriture de type consultatif éclipse l’analyse universitaire, lorsque les rapports sont plus visibles et accessibles que les publications académiques, ou encore lorsque les exigences politiques à court terme l’emportent sur les démarches théoriques de long terme.

Ces défis sont particulièrement préoccupants dans les contextes où les capacités académiques sont déjà mises à rude épreuve et où les mécanismes de financement favorisent des résultats rapides au détriment de recherches approfondies évaluées par les pairs.

C’est notamment le cas en Afrique subsaharienne francophone, où la recherche académique demeure largement sous-reconnue et peu soutenue dans les modes de production et de diffusion des savoirs au niveau mondial.

Défendre la recherche académique en Afrique subsaharienne francophone

Dans une cartographie récente de la recherche sur l’apprentissage fondamental en Afrique subsaharienne menée par ESSA et le REAL Centre, nous avons identifié seulement 34 publications en français sur un total de 381. Aucune de ces publications n’était référencée dans des bases de données internationales telles que Web of Science ou Scopus.

Ce constat n’est guère surprenant, sachant qu’environ 95 % des publications indexées sont en anglais.

Parmi les 16 revues francophones identifiées, 11 ne figurent pas dans le classement SCImago Journal Rank (SJR), ce qui témoigne de leur faible visibilité et de leur portée académique limitée à l’échelle mondiale.

Fait révélateur, sur les 64 études portant sur des pays francophones, près de la moitié ont été publiées en anglais et référencées dans des bases de données internationales. Cela illustre le dilemme permanent auquel sont confrontés de nombreux chercheurs non anglophones : publier en anglais ou périr.

Même les répertoires en libre accès, tels que le Directory of Open Access Journals (DOAJ) et African Journals Online (AJOL), mettent peu en valeur les travaux académiques issus de l’Afrique subsaharienne francophone.

En mars 2025, seuls 117 des 21 453 revues indexées dans DOAJ provenaient d’Afrique subsaharienne, ce qui représente à peine 0,5 %. Parmi celles-ci, seulement 24 étaient issues de pays francophones, dont deux dans le domaine de l’éducation et six en sciences sociales.

De même, sur les 865 revues hébergées par AJOL, seulement 60 (7 %) provenaient de pays subsahariens francophones, et seules deux étaient consacrées à l’éducation.

Cette représentation limitée s’explique en partie par le fait que de nombreuses revues africaines ne répondent pas actuellement aux normes d’indexation internationales ou régionales.

Elle n’en contribue pas moins à maintenir la recherche francophone évaluée par les pairs dans une relative invisibilité.

Une cartographie parallèle de la recherche sur l’apprentissage fondamental au Sénégal met en évidence les difficultés d’accès et de visibilité : bien que des travaux académiques existent, les identifier s’est avéré long et laborieux.

L’étude a montré que les articles de revues représentaient 40 % des productions recensées, principalement publiés dans des revues universitaires nationales ou régionales, suivis des rapports de recherche (31 %).

Pour les localiser, Thierno Malick Diallo, chercheur au sein d’ESSA, a exploré des revues non indexées, consulté des dépôts institutionnels et mené de nombreuses recherches via Google Scholar.

Il s’est également appuyé sur les recommandations de chercheurs locaux et s’est rendu à la bibliothèque de l’Université Gaston Berger, au Sénégal, pour accéder à des travaux non disponibles en ligne.

Cet effort fait écho à une initiative récente du hub GPE KIX Afrique 21, menée en partenariat avec l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), l’Organisation Internationale de la Francophonie et la CONFEMEN.

Ensemble, ces institutions soutiennent une cartographie inédite de la recherche en éducation dans dix pays francophones d’Afrique subsaharienne afin de mieux comprendre les dynamiques nationales et de renforcer les systèmes éducatifs.

En définitive, la difficulté d’accès à la recherche francophone en Afrique subsaharienne soulève une problématique plus vaste : lorsque les travaux académiques ne sont ni visibles ni accessibles, ils demeurent en marge à la fois de l’élaboration des politiques publiques et des débats scientifiques.

Au-delà des rapports : Réhabiliter l’espace de la recherche académique

Au cours d’un entretien mené avec la rédactrice en chef adjointe de la Revue internationale en éducation de Sèvres, elle a exprimé avec inquiétude qu’elle reçoit fréquemment des manuscrits rédigés dans le style de rapports de consultance plutôt que sous la forme d’articles scientifiques.

Ce problème récurrent met en lumière un enjeu systémique plus profond. Dans des environnements universitaires peu dotés en ressources, de nombreux chercheurs s’appuient sur les activités de consultance, souvent perçues comme l’une des rares sources de revenus et d’opportunités professionnelles.

A long terme, cette situation tend à façonner les pratiques et les attentes, en privilégiant la rédaction de rapports au détriment des publications académiques. En conséquence, les compétences en écriture académique peuvent rester sous-développées ou peu mobilisées, et les exigences de publication évaluée par les pairs deviennent d’autant plus difficiles à atteindre.

Cette dynamique est renforcée par les modalités actuelles de circulation des connaissances.

Les rapports de recherche, en particulier ceux commandités par des organisations internationales, sont souvent plus accessibles et plus fréquemment cités que les publications universitaires.

Par exemple, les publications du Programme d’Analyse des Systèmes Éducatifs de la CONFEMEN (PASEC) s’appuient majoritairement sur des rapports antérieurs du PASEC et sur d’autres documents de la littérature grise, avec un recours limité à la recherche académique africaine rédigée en français.

Cette limitation dans la citation des travaux académiques africains en français découle vraisemblablement des problèmes plus larges d’accessibilité et de visibilité évoqués précédemment. Elle alimente un cercle vicieux dans lequel les savoirs issus de la consultance circulent largement, tandis que les contributions académiques demeurent marginalisées.

Un autre obstacle structurel réside dans l’absence d’une base de données régionale solide regroupant les recherches évaluées par les pairs. En l’absence d’outils accessibles et interrogeables, la réalisation de revues systématiques devient particulièrement difficile.

Un autre obstacle structurel réside dans l’absence d’une base de données régionale solide regroupant les recherches évaluées par les pairs. En l’absence d’outils accessibles et interrogeables, la réalisation de revues systématiques devient particulièrement difficile.

Cela affaiblit non seulement les fondements factuels sur lesquels les décideurs peuvent s’appuyer, mais limite aussi la capacité des chercheurs à identifier les lacunes existantes et à construire un savoir cumulatif.

Or les revues systématiques jouent un rôle essentiel dans le développement des champs de recherche et dans la synthèse de données probantes de qualité.

Ce problème ne se limite pas à la région. Un examen plus large de l’usage des revues systématiques dans la recherche éducative francophone montre que celles qui existent reposent, pour la plupart, presque exclusivement sur des recherches effectuées via Google.

Cela renvoie à un problème structurel de fragmentation de la diffusion de la recherche francophone et de ses infrastructures.

Renforcer la recherche académique en Afrique subsaharienne francophone : Comment y parvenir ?

  • Comment garantir que les chercheurs disposent d’opportunités réelles de contribution, notamment par un accès à la formation, au mentorat et à un soutien institutionnel leur permettant de renforcer leurs capacités à rédiger et publier en français ?
  • Les bailleurs devraient-ils exiger que chaque projet de recherche prévoie des ressources spécifiques pour la production et la diffusion académique, par exemple sous forme d’articles dans des revues à comité de lecture ?
  • La création d’un système régional d’indexation, à l’image de SciELO en Amérique latine, améliorerait-elle la visibilité des travaux francophones ?
  • Enfin, une approche éditoriale ciblée, comme la publication périodique de recueils thématiques, permettrait-elle de mieux structurer et valoriser les résultats de recherche ?

Cette dernière idée, avancée lors d’un séminaire international sur la production et la diffusion de la recherche en éducation en Afrique subsaharienne francophone, organisé par France Éducation International en partenariat avec la CONFEMEN et l’AUF en octobre 2021, est prometteuse.

Toutefois, comme l’a souligné la rédactrice en chef adjointe de la Revue internationale en éducation de Sèvres, elle soulève des questions pratiques : qui portera une telle initiative ? Avec quelles ressources ? Et comment en assurer la pérennité ?

Il n’existe pas de réponses simples. Pourtant, ce sont précisément ces interrogations qui appellent une réflexion collective.

Afin de renforcer la solidité de la recherche et d’améliorer la circulation des savoirs, le GPE, à travers son initiative KIX, collabore avec ESSA et le REAL Centre de l’Université de Cambridge dans le cadre d’un projet réunissant chercheurs, praticiens, bailleurs et décideurs.

Cette collaboration vise à partager des expériences, croiser les expertises et élaborer des réponses concrètes aux défis communs. En s’appuyant sur les initiatives existantes, ce dialogue multipartite apparaît essentiel pour faire progresser des stratégies durables et renforcer les écosystèmes de recherche en Afrique subsaharienne francophone.

Clarifier la distinction entre les publications universitaires et les rapports de recherche ne revient nullement à dévaloriser ces derniers. Il s’agit plutôt de reconnaître et soutenir la recherche académique en tant que bien public, capable d’éclairer non seulement les politiques éducatives, mais aussi la pédagogie, le développement théorique et la réflexion critique.

Pour saisir les dynamiques à l’œuvre, il est essentiel d’analyser la manière dont la recherche académique et les productions issues de la consultance interagissent, et ce que cela implique pour l’avenir de la production et de la diffusion des savoirs en éducation dans la région.

En somme, renforcer la recherche académique en Afrique francophone ne relève pas d’une simple tâche technique ; il s’agit d’un impératif à la fois politique et éthique, indispensable à la construction de systèmes éducatifs inclusifs et riches en savoirs.

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